Extrait :
L’irrésolution est aussi une espèce de crainte qui, retenant l’âme comme en balance entre plusieurs actions qu’elle peut faire, est cause qu’elle n’en exécute aucune, et ainsi qu’elle a du temps pour choisir avant que de se déterminer. En quoi véritablement elle a quelque usage qui est bon. Mais lorsqu’elle dure plus qu’il ne faut, et qu’elle fait employer à délibérer le temps qui est requis pour agir, elle est fort mauvaise. Or, je dis qu’elle est une espèce de crainte, nonobstant qu’il puisse arriver, lorsqu’on a le choix de plusieurs choses dont la bonté paraît fort égale, qu’on demeure incertain et irrésolu sans qu’on ait pour cela aucune crainte. Car cette sorte d’irrésolution vient seulement du sujet qui se présente, et non point d’aucune émotion des esprits ; c’est pourquoi elle n’est pas une passion, si ce n’est que la crainte qu’on a de manquer en son choix en augmente l’incertitude. Mais cette crainte est si ordinaire et si forte en quelques-uns, que souvent, encore qu’ils n’aient point à choisir et qu’ils ne voient qu’une seule chose à prendre ou à laisser, elle les retient et fait qu’ils s’arrêtent inutilement à en chercher d’autres; et alors c’est un excès d’irrésolution qui vient d’un trop grand désir de bien faire, et d’une faiblesse de l’entendement, lequel, n’ayant point de notions claires et distinctes, en a seulement beaucoup de confuses. C’est pourquoi le remède contre cet excès est de s’accoutumer à former des jugements certains et déterminés touchant toutes les choses qui se présentent, et à croire qu’on s’acquitte toujours de son devoir lorsqu’on fait ce qu’on juge être le meilleur ; encore que peut-être on juge très mal.
René DESCARTES, Traité des passions de l’âme, Art. 170, dans Œuvres philosophiques, Tome III, texte établi, présenté et annoté pas F. Alquié, Classiques Garnier, 1989, p. 1078-1079.
Questions :
1. Analysez cette définition de l'irrésolution comme crainte "retenant l’âme comme en balance entre plusieurs actions qu’elle peut faire" :
a) Qu'est-ce que la crainte ? Quel serait ici, selon vous, l'objet précis qui en est à l'origine ?
b) Qu'éprouve-t-on quand, devant choisir, on est confronté à plusieurs partis possibles et qu'on ne sait lequel suivre ?
c) Quel effet cela a-t-il sur l'action ? Expliquez précisément l'expression "en balance".
2. En quoi cette irrésolution est-elle en un sens bénéfique ? Que lui faut-il, cependant, éviter ? Rapprochez cette question de l'exemple, pris en introduction, de l'âne de Buridan.
3. L'indécision dans laquelle on se tient, tant que l'on demeure irrésolu, suscite-t-elle de la crainte parce que l'on se représente les voies possibles comme étant elles-mêmes à craindre ?
a) En quoi tout choix est-il, essentiellement, un acte libre ?
b) Analysez cette liberté, manifestée dans la résolution prise, dans l'exemple pris par Descartes de celui qui, ne voyant qu'un parti possible, suspend tout de même son jugement en quête d'autres qui lui auraient échappé.
4. Expliquez le principe que Descartes en retire : "s’accoutumer à former des jugements certains et déterminés touchant toutes les choses qui se présentent, et à croire qu’on s’acquitte toujours de son devoir lorsqu’on fait ce qu’on juge être le meilleur ; encore que peut-être on juge très mal."
a) Pourquoi, selon vous, est-il nécessaire de "s'accoutumer à" la résolution ?
b) Un "jugement certain" est-il la même chose qu'un jugement dont nous sommes certains qu'il est le bon ? Appuyez-vous précisément sur le texte afin de justifier votre réponse.
c) En quoi le "devoir" formulé par l'auteur consiste-t-il précisément ?
Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr Télécharger le manuel : https://forge.apps.education.fr/drane-ile-de-france/les-manuels-libres/philosophie-terminale ou directement le fichier ZIP Sous réserve des droits de propriété intellectuelle de tiers, les contenus de ce site sont proposés dans le cadre du droit Français sous licence CC BY-NC-SA 4.0